Petit circuit Philip K. Dick:
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Confessions d'un barjo:
J'ai commencé par l'OVNI de Dick, un de ses romans "normaux", sans intrigues semi-policières et d'émigrations martiennes dedans. A sa sortie ce bouquin était carrément négligé par tous les critiques. Comprenez, la SF n'est pas un genre sérieux pour les critiques de l'époque (et encore aujourd'hui, un peu, mais finalement c'est surtout Dick qui a rendu la SF si populaire chez les intellectuels, avec quelques autres) alors un type de la SF qui tente de faire du sérieux... Ridicule!
Eh ben pourtant ce roman est vraiment excellent.
Pour résumer brièvement la fable le barjo cité dans le titre est Jack Isidore, qu'on dit être le personnage principal mais pas vraiment en fait, j'y reviendrais. Ce type est un inadapté social. Remarquablement intelligent mais manquant cruellement de subjectivité (un comble), il est l'image même du surdoué incapable de comprendre la nature humaine (on retrouve cette idée très souvent, c'est souvent le génie qui est le moins doué d'empathie, ou alors le méchant est un génie, etc.) et passe ses journées à s'instruire sur différents sujets tous plus farfelus les uns que les autres, comme par exemple les intelligences extraterrestres et l'implication du gouvernement dans les visites d'OVNI...
Je précise que l'action se déroule dans les années 50 (1953 il me semble, mais avec tous ces sauts dans le passé c'est difficile de se souvenir), donc la société décrite (rétrospectivement, Dick a connu cette période mais a écrit le livre la décennie suivante) est celle d'un avènement de la "haute technologie" et de la société de consumérisme. Ce type, donc, Jack Isidore, effraie à peu près tout le monde et se retrouve donc avec un boulot de misère (resculpteur de pneus, une technique pas vraiment au point en 1953) alors qu'il possède d'énormes capacités... Dans son temps libre il rassemble des coupures de journaux à propos des ovnis, ce genre de choses... Sa fascination pour les théories farfelues est assez importante dans l'histoire...
Mais il n'est pas seul. Sa famille est assez peu évoquée, mis à part sa soeur, Fay, qui ne supporte plus son comportement décalé. Le frère et la soeur ne s'entendent pas. Fay a brûlé et jeté toutes les affaires qui comptaient pour Jack alors qu'il était en service durant la Seconde Guerre mondiale, mais son tempérament stoïque et empirique lui a permis d'oublier un peu les sentiments négatifs qu'il avait nourris. Fay, par contre, est tant attachée aux apparences, à la bonne mesure, qu'elle ne peut pas supporter d'avoir un frère lui faisant honte, croupissant dans la pauvreté et dans ce qu'elle pense être de la folie. Le vase déborde le jour où son frère est arrêté par la police pour avoir volé à l'étalage. Ayant aperçu une boîte de "fourmis en chocolat" dans un rayon, il s'était mis en tête de les libérer.... Très premier degré, le mec!
Mais finalement ce barjo est le perso le plus lucide de l'histoire, qui par son objectivité quasi-absolue voit les personnages et les évènements comme ils sont et ne se laisse pas obscurcir l'esprit par ses sentiments. Et quand on voit les personnages...
Genre Charley Hume... Mon préféré... Au début on le voit juste comme le mari crétin, riche et surviolent de Fay, qui bat sa femme et traite Jack comme un chimpanzé parce qu'il ne le comprend pas. Mais un jour, en voiture, le couple Hume croise deux nouveaux venus dans la région: Nathan et Gwen Anteil. De là s'effondre toute la structure bigarré de la famille Hume, le mari, la femme, les enfants, le frère bizarre qui regarde ça d'un oeil clinique alors qu'il est hébergé dans la maison où le drame se noue.
On voit Charley et Fay révéler leur vraie nature. Pourquoi Charley est-il si violent alors qu'il aime démesurément sa femme? A quel point Fay et Jack se ressemblent-ils?
Génialissime... Surtout une certaine scène avec un revolver et un cheval...
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Blade Runner:
J'ai enchaîné sur
Blade Runner. J'étais vraiment curieux de lire ça, étant donné le barouf que le film fait autour de lui à chaque fois qu'on en parle.
Pour l'histoire, c'est une amérique rétro-futuriste des années 1990 portant les séquelles d'un conflit nucléaire: déconseillé de sortir de chez soi sans masque, forte émigration (conseillée jusqu'au harcélement par l'ONU, ou l'OTAN je ne sais plus) vers les colonies martiennes, ainsi que 90% des animaux décimés par les retombées atomiques...
Dans cette société la possession d'un animal, n'importe lequel (le chat c'est moyen, l'autruche c'est top!) est un signe d'appartenance au groupe, ceux qui n'ont pas d'animaux sont associaux, ou spéciaux (les spéciaux sont reclus car n'ont pas réussi les tests obligatoires, et considérés comme exposés aux radiations, donc dangereux...). Mais quand on a pas les moyens nécéssaires pour se payer un animal et que le nôtre meurt subitement, comme ce fut le cas pour le mouton de Rick Deckard,
blade runner qui ne vit que des primes touchées à chacune des cibles abattues, la seule solution pour être bien vu par ses voisins est de berner son monde, et d'acheter un simulacre mécanique, un copie parfaite d'un animal...
Mais il existe aussi des simulacres d'hommes... Les androïdes. Ces robots, de plus en plus intelligents et perfectionnés, sont exactement comme nous: voix, peau, chair, os... Mais ce sont des machines qui imitent nos réactions et nos sentiments. Chaque immigré terrien, à son arrivée sur Mars, se voit remettre un de ses androïdes pour le servir. Mais il arrive que certains d'entre eux, persuadés d'être des hommes, tuent leurs propriétaires et fuient vers la Terre.
Seul un
blade runner expérimenté comme Deckard peut les dépister (grâce au test de Voigt-Kampff) et les neutraliser. Quand il voit qu'un important groupe d'androïdes Nexus-6 a fui Mars et rôde dans la ville, il pense que la prime pour leur capture pourrait lui permettre d'acheter un bel animal, un vrai.
Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques? Deckard commence à nourrir des doutes sur sa vraie nature et celle de son entourage.
Pour une super intrigue, à la fois SF et policière, c'est une super intrigue! Court, concis, efficace, le bouquin se dévore et ne manque pas de rebondissements

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Simulacres:
On dit souvent qu'
Ubik est le roman irrésumable de Dick, mais pour moi c'est plus celui-là...
On y parle d'un monde où l'Allemagne a fusionné avec les Etats-Unis, dans un état gouverné par les "der Alte", présidents gérontocratiques, se succédant mais avec toujours la même épouse: Nicole Thibodeaux, jeune et belle. Mais quel est le rôle des simulacres au gouvernement?
Ce roman est carrément bizarre, mais stupéfiant d'inventivité, de complexité, de maitrise et de technique pour quelque chose qui, finalement, passe comme une lettre à la poste.
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Ubik:
Le meilleur avec
Confessions.
Des indices, à chaque chapitre. Une publicité: rasoirs Ubik! Crème Ubik! Chocolat Ubik! Laxatifs Ubik! Et on ne comprend pas ce qu'est Ubik, son rôle dans l'histoire qui n'évoque même pas la marque.
La seule multinationale du roman est la compagnie Runciter Associates, dirigé par le vieux Glen Runciter et sa femme Ella, morte depuis quarante ans mais toujours maintenue consciente et plongée dans un rêve constant dans un caisson cryogénique avec stimulateurs encéphaliques....
Cette compagnie traque les psis, qu'elle montre dans sa propagande comme des êtres malfaisants, brisant notre intimité, infiltrant notre cerveau pour voler les codes bancaires, perçant notre futur pour empêcher de nous épanouir... Heureusement grâce aux antis-psis aux pouvoir antagonistes employés par Runciter, votre entreprise peut être nettoyée, votre maison sécurisée, votre vie peut reprendre son cours.
Ce jour-là, Joe Chip, le meilleurs dépisteur de la boîte, rencontre Pat Conley, une anti-psi plus puissante que ce qu'on a jamais vu, et Runciter appelle ses meilleurs recrues pour un contrat d'envergure. Mais un attentat a lieu...
Et ce que je peux dire c'est que la suite du scénario dépasse toutes les espérances... Niveau mystères et révélations spectaculaires, avec thématiques SF cool mais profondes et un traitement crédible (la réalité qui s'effondre, la mort et l'au-delà, le voyage dans le temps, traité de façon particulièrement originale par Dick), on est servi.
Moi qui suis pop-corn, genre Harry Potter, là je peux dire que j'ai pas été déçu comme je le pensais, tout en voyant derrière l'histoire très intéressante de la vraie littérature, qui nous fait nous interroger sur les choses, qui est brillante.
Ubik est son oeuvre maîtresse, en effet!