Désolée pour le double post.
L'ordinateur ramant un peu beaucoup, je n'arrive pas à charger le fichier. Je vous mets donc la suite ici, en attendant de pouvoir actualiser le fichier...

(je remets le début du chapitre 3 pour avoir le chapitre complet)
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Chapitre 3 • Il coule, il coule, le sang vermeil…[/center]
Allen.
A mon angoisse désormais permanente se mêlait maintenant un certain agacement. Nous nous étions quittés depuis une demi-heure déjà ; il n’y avait nulle part de trace du chevreau, et j’étais tenté de rejeter sur lui tous les malheurs du monde. J’avais hâte de retrouver le chemin familier qui menait à la maison, les manières bourrues de Malther, ma paillasse inconfortable, et même la Pie, tout sauf cette forêt sombre et malveillante qui me semblait m’enserrer peu à peu dans ses mailles, sans que je n’aie aucun moyen d’en sortir, aucun moyen d’échapper à l’étouffement imminent qui me guettait.
Je sentais la menace arriver. N’importe comment, je la sentais. Mais j’étais incapable de déterminer d’où elle viendrait – et c’était là que mon angoisse prenait sa source ; je suivais mentalement la progression d’Alvin tout en avançant moi-même, sans pouvoir me départir de cette sombre impression qui pesait sur mes épaules.
Et ça en devenait insupportable.
Brusquement, un éclat inhabituel attira mon attention. Au milieu de la noirceur des arbres perçait un léger point blanc ; infime détail qui fit déferler dans mon esprit une vague d’espoir, balayant tout sur son passage et effaçant momentanément l’angoisse qui m’étreignait. Malgré moi, un sourire étira mes lèvres et je me mis à courir, ignorant les branches qui me fouettaient le visage, courir, sans prêter attention aux pièges pervers que me tendaient les buissons, courir vers cette tache blanche qui me donnait des ailes.
Ce fut lorsque je débouchai dans la clairière, haletant, que je compris que quelque chose clochait. Le chevreau était bien là, oui ; je ne m’étais pas trompé.
Il était allongé par terre. Dormait-il ? Non, me répondait doucement ma conscience. Non, il ne dort pas…
J’eus à peine le temps de réaliser qu’il était mort, indéniablement mort, qu’une forme sombre jaillit des fourrés pour se jeter sur moi. Je poussai un cri, me débattis, mais la poigne de mon adversaire était extraordinairement puissante ; comme dans un rêve je vis la lampe rouler dans l’herbe, comme dans un rêve je vis deux yeux rougeoyants se pencher sur moi, comme dans un rêve je fermai les yeux alors que deux poignards glacés se plantaient dans ma gorge.
Il se passa alors une seconde ou une éternité.
La douleur me réveilla comme une violente vague de feu se répandant dans tout mon corps, implacable, insupportable, irrévocable. Et je hurlai.
De toutes mes forces. De toute ma rage. De tout mon mal.
Je hurlai…
Alvin.
Les arbres se ressemblaient tous. Depuis combien de temps marchais-je dans la forêt ?
Une seconde ou une éternité…
Le chevreau, ce maudit chevreau, je n’y pensais plus. Je ne voulais plus qu’une chose : sortir.
Sortir de cette forêt.
Sortir de ce cauchemar.
Quitter l’angoisse, quitter la peur, sortir de là. Retrouver mon frère et rentrer chez moi.
Je voulais aussi que le jour se lève.
Allen.
J’ai mal.
Le feu qui me dévore est glacial.
Ma vie s’échappe.
Je la vois… juste au-dessus de moi…
Elle part, elle part, et je ne peux tendre la main pour la rattraper.
Je voudrais hurler, je suis incapable de gémir.
Je voudrais me lever, des chaînes d’acier me retiennent au sol.
Je voudrais me battre, je ne m’obéis plus.
Je voudrais me sauver, ma volonté s’annihile.
Est-ce que je suis en train de mourir ?
C’est une bonne question.
Alvin.
Je tournais en rond, c’était indéniable. Chaque arbre que je voyais, chaque sentier que je traversais, il me semblait y être déjà passé ; les clairières se ressemblaient toutes ; et pourtant j’avançais en ligne droite !
Du moins, j’essayais. J’avais pris la décision de quitter la forêt, espérant qu’Allen le lirait dans mon esprit, et m’étais tourné vers la direction qui me semblait être la meilleure.
Mais à présent, je n’étais plus sûr de rien. Si je ne m’étais pas trompé… si je ne m’étais pas trompé, j’aurais déjà dû être dehors, sur la lande. Or les arbres s’enfilaient devant moi, sans me laisser apercevoir une trouée d’extérieur.
Je devenais fou.
Brusquement je me figeai.
Qu’est-ce qui m’avait alerté ? Le silence.
Pourtant la forêt n’était pas bruyante et je n’aurais pas dû remarquer cette absence d’agitation qui m’effrayait plus que de raison.
Ce silence vola en éclat lorsque retentit un hurlement. Hurlement dans lequel tranchait une innommable souffrance… Détresse… Terreur… Mille émotions s’affrontaient dans ce cri.
En écho répondit un long son lugubre que je n’identifiai pas immédiatement. Lorsque je compris sa nature, cependant, un frisson me parcourut.
Les loups étaient de la partie.
Mais cette voix, je la connaissais.
C’était la mienne.
Celle de mon frère.
Brutalement, une douleur atroce me frappa de plein fouet, m’arrachant un cri et m’obligeant à me marteler le ventre de coups de poings en espérant que cela la ferait fuir. J’eus l’impression que mon sang se mettait à bouillir dans mes veines, faisant éclater les millions de vaisseaux sanguins qui parsemaient mon corps, se répandant dans mon cœur et dans mon cerveau comme une lave inquisitrice, comme une pensée étrangère, comme un mal qui n’était pas le mien.
Comme un mal… qui n’était pas le mien.
La connexion s’établit en un éclair.
Ce que je ressentais, ce n’était pas moi. C’était un dixième… non, un centième… un centième de ce que ressentait Allen.
J’oubliai tout et me mis à courir.
Allen.
Certitude : je vais mourir.
Car les miracles n’existent pas, n’est-ce pas ?
Alvin.
Je courais. Il fallait courir.
Courir, en ignorant les branches qui me fouettaient le visage, courir, sans prêter attention aux pièges pervers que me tendaient les buissons, courir, courir, vers l’origine du mal que je ressentais, vers cette douleur qui s’amplifiait à chaque foulée.
Courir pour sauver ce deuxième moi-même, courir pour ne pas rester immobile, courir pour oublier cette souffrance qui m’envahissait.
J’aurais pu me diriger les yeux fermés.
Je débouchai bientôt, haletant et tiraillé par de multiples points de côté, dans une énième clairière, semblable aux autres ; mais le spectacle qui s’offrait à mes yeux effarés était différent. Horriblement différent.
Je ne jetai qu’un bref coup d’œil à l’agneau gisant près d’un arbre avant de découvrir Allen. Une silhouette noire et sans forme était penchée sur lui ; poussé par une peur panique de cette chose atroce, j’empoignai le fusil et tirai un, deux, trois coups. L’autre ne broncha pas.
Je me précipitai sur lui en hurlant et, là seulement, il releva la tête. J’eus l’impression qu’on m’assenait un violent coup de poing dans l’estomac.
Il avait un visage livide et émacié marqué par une euphorie démente, des yeux rougeoyants comme de la braise, et ses mains, posées sur la gorge de mon frère, étaient semblables à des araignées. Le dégoût m’envahit pour cet être inhumain et je reculai, terrifié, trébuchai sur une racine, m’étalai de tout mon long sur le sol…
A présent, il avait délaissé Allen et me regardait. Un sourire pervers étira ses lèvres minces.
Brusquement, comme dans un rêve, je vis les ombres fuir. L’obscurité déguerpit comme un lièvre apeuré ; les arbres noirs s’entourèrent de lumière, l’herbe se mis à briller doucement. Une terreur sans nom passa dans les yeux du monstre et il bondit en arrière, disparaissant dans le dernier bastion de ténèbres de la forêt.
Les joues striées de larmes, le regard brouillé, plaqué au sol par la terreur qui m’étouffait, je rampai péniblement vers mon frère. Sa gorge était lacérée ; ses yeux étaient grands ouverts, son regard vitreux fixait le néant. Son corps était agité de soubresauts et de sa bouche entrouverte s’échappait une respiration saccadée, entrecoupée de crachotements. Sa salive était rouge.
Je m’écroulai sur sa poitrine et mes larmes vinrent se mêler à son sang qui s’écoulait abondamment de sa plaie grande ouverte. Au-dessus de nous, le soleil faisait son apparition, ses rayons traversant les ramures pour venir caresser nos visages et chanter à mon oreille des murmures pleins d’espoir.
Mais de l’espoir, y en avait-il encore ?
Oui, oui, oui, me disait ma conscience.
Non, non, non, sanglotait mon cœur.
M’attendant à ne trouver que du vide, je projetai mon esprit vers celui d’Allen. Je sursautai ; il était là, bien là, et la souffrance qu’il ressentait encore, bien qu’amoindrie, le prouvait à elle seule.
Je souris à travers mes larmes.
Et il n’allait pas disparaître, oh non…
(voilà... forcément, ça rend moins bien...

)
Bonne lecture !
