PréambulePour rappel, il n'existe pas que la saturation numérique.
J'imagine que ce simple préambule devrait immédiatement faire comprendre la plupart des lecteurs ce que je veux expliquer.
Par ailleurs, en fouillant le forum, d'aucuns réaliseront que c'est un sujet qui a déjà été défloré. Mais je vais tout de même détailler. (Par contre, ne lisez pas si vous n'êtes pas prêt pour un sujet technique.)
Autre notion que je ne détaillerai pas ici, mais à retenir : décibel (dB) ne veut rien dire en soit. C'est comme dire milli- ou kilo-, Ce ne sont seulement que des notions de grandeur.
Par conséquent, tout comme il faut préciser si ce sont des milli
mètres ou des milli
grammes dont on parle, pour les décibels c'est pareil. Des décibels de quoi ?
Il faut savoir que des décibels, en matière de son, il y en a des tartines. Ici on n'en utilisera que deux : les
dB VU (comme vu-mètre) qui servent à étalonner les appareils analogiques, et et les
dB FS (Full Scale) qui correspondent à l'échelle utilisée pour les niveaux en numérique.
Un peu d'histoireSouvenons nous que jadis, naguère, le numérique n'existait pas. Les enregistrements sonores étaient traités, mixés, conservés de manière analogique. N'allons pas trop loin dans le passé quand on gravait directement d'un pavillon à un cylindre de cire par l'intermédiaire d'une aiguille, restons dans un passé pas trop lointain où on utilisait l'électricité, l'électronique, et les supports magnétiques pour capter, traiter, enregistrer le son.
A cette époque, les ingénieurs du son étaient déjà confrontés aux problèmes de saturation : si un composant électronique, une lampe à vide, par exemple, reçoit plus de courant électrique que prévu, son comportement est altéré. Peu si la différente est faible, puis de plus en plus jusqu'à tordre completement le signal originel lorsque la tension devient vraiment trop forte.
(Passons sous silence l'ère des guitares saturées, c'est à dire utilisant directement ces principes pour injecter dans les lampes des ampli des courants supérieurs à la tension prévue afin de, justement, produire un son qui pour le musicien était interessant.)
Bref, l'ingé son, en dehors de ces questions de saturation volontaires, cherche un signal droit, propre, fidèle. Les constructeurs de préamplis, de consoles, d'équipement divers ont donc étalonnés leurs appareils et les ont dotés de vu-mètres afin de vérifier en tout point de la chaîne du son que les équipements étaient utilisés dans les limites acceptables.
En gros (en très gros), si tous les equipements sont calés sur le zero
dB VU, le son sera nickels sur toute la chaine.
En réalité - à la différence de la saturation numérique - ces appareils, surtout ceux de haut de gamme, peuvent monter plusieurs décibels
au dessus du zero dB sans engendrer de saturation audible, c'est ce qu'on appelle la headroom ou plafond, c'est à dire la reserve de puissance avant que le signal ne commence à se distordre.
Ça veut aussi dire qu'à la différence de l'échelle des décibels numériques (dB FS, Full Scale) qui va de
moins l'infini à
zero, valeur infranchissable, l'échelle utilisée en analogique (dB VU) pouvait aller de
moins l'infini à
plus quelque chose, ce quelque chose pouvant aller de quelques décibels, dans la limite de la headroom de l'appareil, puis toujours plus, en commençant doucement à saturer, et encore, jusqu'à finalement ce que le signal soit completement distordu puis enfin que les composant ne grillent tout simplement.
Une autre différence de taille avec ce que nous appelons vu-mètre sur nos consoles numériques, virtuelles, sur nos ordinateurs, c'est que les vu-mètres analogiques ne réagissent pas rigoureusement en temps réél à la tension appliquée. En effet, il y a une certaine latence avant que l'aiguille ne bouge et une autre avant qu'elle ne retombe. Deux raisons à celà. L'une est que si on l'avait rendue tellement sensible et rapide à la moindre différence de tension, elle bougerait tellement vite qu'on ne pourrait la lire, l'autre c'est qu'il n'est pas nécessaire de la rendre ultra-sensible puisque les composant electroniques ont eux-même une capacité d'encaisser les surtensions très courtes et donc il n'est pas necessaire de les afficher : elles n'engendrent pas de saturation, donc pourquoi s'en préoccuper ?
Le Vu-mètre analogique indique donc une sorte de moyenne de la tension reçue sur une période donnée, de l'ordre de quelques dizaines de millisecondes, ce qui permet donc à la fois une lecture confortable de l'aiguille et qui correspond parfaitement au comportement des composants electroniques, l'important étant évidemment de prévenir une saturation, pas d'avoir une lecture scientifiquement parfaite.
A l'inverse, sur nos ordinateurs, ce que nous avons n'est pas, malgré le nom qu'on lui donne, un vu-mètre. C'est un
crête-mètre. C'est à dire qu'il est capable d'indiquer très précisément (44100 fois par seconde ou plus, selon le taux d'échantillonnage) la valeur exacte de chaque échantillon.
C'est évidemment important parce qu'en matière de numérique, on n'a pas de headroom, de saturation progressive et douce : Dès qu'on atteint zero dB FS, on est en situation de saturation, et on doit le savoir afin de revoir nos niveaux, parce que la saturation numérique, c'est pas musical, c'est hideux.
Bref (oui, j'ai été bref jusque là, j'ai occulté plein d'opportunités de digressions techniques passionnantes

), à l'ère du numérique, on a été confronté à un gros problème : à ma droite, une échelle ouverte des deux cotés du zéro pour l'analogique, basée sur une moyenne ; à ma gauche, une échelle fermée au dessus de zero et basée sur une lecture instantanée pour le numérique.
Cependant il fallait bien être capable d'interconnecter les deux technologies puisqu'on n'est pas près de supprimer toute une partie de la chaîne analogique, bah oui, les micros, les préamplis, tout ça, c'est encore de l'analo...
Il fallait donc une formule pour passer d'un univers à l'autre.
Alors on a fait des tas de tests avec des tas d'appareil différents, et à l'issue, on a comparé tous ces résultats et pris une décision empirique :
À un signal au niveau ligne, sortant d'un préampli par exemple, à zero dB VU correspondra à un niveau moyen (*) de -15 dB FS(cette décison n'était pas 100% unanime, certains constructeurs ont choisi -14 dB FS, d'autres on choisi -18 dB FS, mais l'essentiel est là).
(*) Notez le mot
moyen. Il veut dire qu'on n'en est pas encore à comparer les niveau VU avec les niveaux crêtes. On y reviendra plus tard.
Une fois cette décision prise, c'est plus simple parce que les échelles sont comparables, les calculs sont donc évident, tout ce qu'on ajoute ou retranche d'un coté, on peut le faire de l'autre : Si 0dBVU=-15dBFS, alors -1dBVU=-16dBFS ; +2dBVU=-13dBFS, etc.
Mais remontons donc progressivement et approchons nous du zero dB FS.
-10 dB FS -> +5 dB VU, je commence sérieusement à taper dans la headroom de mon préampli.
-8 dB FS -> +7 dB VU, ça devient vraiment chaud, mon préampli est probablement en train de saturer.
-3 dB FS -> + 12 dB VU... euh, 12 dB de headroom, sauf sur les appareils de très très haut de gamme, ça n'existe pas. Mon préampli est donc dans le rouge vif.
Et voilà ! J'ai encore 3 dB FS de marge et pourtant mon signal analogique est completement distordu, à moins que je ne bosse avec du matos à 10 000 euros pièce, et encore.
Ce Qu'il Fallait Démontrer.Conclusion :
Nous ne sommes pas encore arrivé au tout numérique. Par conséquent la règle du
zero dB VU egale environ -15 dB FS reste de mise et l'ignorer c'est se retrouver avec des enregistrements saturés alors qu'on a bien fait attention de ne pas dépasser le zero dB FS.
Et le mot
moyen dont on parlait au dessus ?
De nouveau, je ne vais pas entrer dans les détails, mais pour imiter le comportement d'un vu-mètre quand on ne possède qu'un crête mètre, on calcule simplement une moyenne, tout comme le vu-mètre le fait. C'est ce qu'on appelle communément le niveau RMS, qui est généralement une moyenne glissante sur les 50 dernières millisecondes et dont le résultat est proche du vu-mètre.
Ça c'est la théorie (et en plus elle n'est pas
totalement juste puisqu'il ne s'agit pas d'une simple moyenne arithmétique, mais on s'en fout)
En réalité, il est tout aussi simple de regarder la courbe qui se dessine lorsqu'on enregistre : on voit très bien la valeur approximative autour de laquelle elle oscille. Du premier coup d'oeil on peut dire si on module autour de -10 dB FS ou de -20 dB FS.
En mélangeant le tout, on peut conclure la règle suivante, qui a été éprouvée par des générations d'ingénieurs du son :
Une bonne prise de son se fait à environ -15 dB FS de moyenne, tout en surveillant que les peaks ne dépassent pas -6 dB FS (parce qu'au delà on commence à taper dans la headroom du préampli).
Note finale :Ce n'est là qu'un principe de base. Si on possède du matos de très haut de gamme et qu'on l'a étalonné, on peut décider d'utiliser d'autres valeurs. Mais quand on est dans ce cas, on ne perd pas son temps à lire ma prose d'amateur éclairé, on me donne des cours à la place.
PS. A tout ça, les autres théories citées ci dessus par Aspic, Horine et Max sont tout aussi valables, à des degrés divers.
PPS. je vous invite à lire
l'excellent article de Roger Roland (connu sous le pseudo de Rroland sur Audiofanzine, ingé-son de mix et de mastering à Liège, et aussi mon professeur lors d'un stage de prise de son dans ses locaux)